
Pionniers de l’ergonomie et du bien-être au travail
« Le meilleur travail est celui qui se fait avec le moins d’effort, sans perte de temps ni de mouvement. »
Frank et Lillian Gilbreth
Couple d’ingénieurs américains, Frank et Lillian GILBRETH ont révolutionné l’organisation scientifique du travail en développant des méthodes d’analyse microscopique des gestes et des mouvements.
Alliant rigueur scientifique et préoccupation pour le bien-être des travailleurs, ils ont jeté les bases de l’ergonomie moderne et humanisé l’approche taylorienne en plaçant l’efficacité au service de l’humain.
Mots clefs- domaines
- Therbligs
- Étude des mouvements
- Ergonomie
- Humanisation du travail
- Chronocyclographie
• Contributions majeures :
L’optimisation scientifique des processus de travail
- Les therbligs et la chronocyclographie : Développement d’un système de classification des mouvements élémentaires humains (therbligs) qui constitue la première décomposition scientifique complète des gestes professionnels. Par la photographie chronométrée et l’utilisation de lumières stroboscopiques, ils capturent la trajectoire précise des mouvements pour les analyser et les optimiser.
- L’élimination du gaspillage de mouvements : Identification et suppression systématique des gestes inutiles ou inefficaces dans les processus de travail, réduisant ainsi la fatigue et augmentant la productivité. Leur méthode d’analyse du micro-mouvement a permis des gains d’efficacité considérables dans diverses industries.
- Aménagement optimal des postes de travail : Conception de dispositifs ergonomiques comme les échafaudages ajustables pour les maçons, les présentoirs pivotants pour les pièces lourdes, et le positionnement stratégique des outils, anticipant les principes fondamentaux de l’ergonomie contemporaine.
L’humanisation de l’organisation scientifique du travail
- L’étude de la fatigue : Contrairement à Taylor qui se focalisait uniquement sur la productivité, les GILBRETH ont mené des recherches approfondies sur la fatigue physique et psychologique, cherchant à optimiser le travail tout en préservant la santé et le bien-être des travailleurs.
- La valorisation des compétences individuelles : Développement de méthodes de formation standardisées (One Best Way) tout en reconnaissant les différences individuelles dans l’apprentissage, permettant aux travailleurs d’acquérir rapidement des compétences optimales tout en respectant leurs particularités.
- L’intégration des travailleurs handicapés : Pionnier dans l’adaptation des postes de travail pour les personnes handicapées, notamment les vétérans de la Première Guerre mondiale, démontrant que l’efficacité pouvait être maintenue avec des aménagements appropriés.
• Les GILBRETH et TAYLOR
Le lien entre Frederick TAYLOR et Frank Bunker GILBRETH est particulièrement important dans l’histoire du management scientifique. Voici les principales connexions et différences entre ces deux pionniers :
Connexions et influences mutuelles
- Rencontre décisive : En 1907, GILBRETH rencontre TAYLOR et devient rapidement l’un de ses partisans les plus dévoués. Cette rencontre marque un tournant dans la carrière de Gilbreth, qui va dès lors intégrer les principes tayloriens dans ses propres recherches.
- Développement complémentaire : GILBRETH approfondit et étend les travaux de TAYLOR. Si TAYLOR était focalisé sur le chronométrage et l’optimisation du temps de travail (le « combien de temps »), GILBRETH s’est concentré sur l’analyse des mouvements et leur optimisation (le « comment »).
- Objectifs partagés : Les deux hommes partageaient l’objectif fondamental d’augmenter l’efficacité et la productivité par l’analyse scientifique des tâches. Ils croyaient tous deux à l’existence d’une « one best way » (meilleure façon de faire).
- Culture de l’ingénierie : Tous deux avaient une formation et une approche d’ingénieur, appliquant des méthodes scientifiques rigoureuses à l’analyse du travail humain.
Différences d’approche
- Méthodes d’analyse : TAYLOR utilisait principalement le chronométrage, tandis que GILBRETH a développé des techniques plus sophistiquées comme la chronocyclographie (photographies avec lumières stroboscopiques) pour capturer et analyser les mouvements.
- Considération pour les travailleurs : GILBRETH, particulièrement sous l’influence de son épouse Lillian, a davantage pris en compte le bien-être des travailleurs et la réduction de la fatigue, humanisant ainsi l’approche plus mécanique de TAYLOR.
- Portée de l’analyse : TAYLOR s’intéressait principalement à l’organisation globale du travail dans l’usine, alors que GILBRETH a poussé l’analyse jusqu’au niveau microscopique des mouvements élémentaires (les therbligs).
Héritage commun
Ces deux figures ont conjointement posé les bases de l’Organisation Scientifique du Travail (OST) qui a profondément transformé les pratiques industrielles du 20ème siècle. Leurs travaux, bien que distincts, sont généralement considérés comme complémentaires dans le développement du management moderne.
L’influence de TAYLOR sur GILBRETH est indéniable, mais GILBRETH a apporté une dimension plus humaine et une analyse plus fine des processus de travail, préfigurant ainsi le développement de l’ergonomie moderne que TAYLOR n’avait pas anticipé. est indéniable, mais GILBRETH a apporté une dimension plus humaine et une analyse plus fine des processus de travail, préfigurant ainsi le développement de l’ergonomie moderne que TAYLOR n’avait pas anticipé.
• Limites:
- Risque de déshumanisation : Malgré leurs préoccupations pour le bien-être des travailleurs, l’approche des GILBRETH reste ancrée dans une vision mécaniste du travail humain qui peut conduire à une standardisation excessive.
- Focalisation sur la performance individuelle : Leur méthodologie s’intéresse principalement à l’optimisation du geste individuel et moins aux dynamiques collectives et à la coopération entre travailleurs.
- Adaptation limitée à la complexité cognitive : L’analyse des therbligs se concentre sur les aspects physiques du travail et s’avère moins pertinente pour les tâches intellectuelles, créatives ou relationnelles qui caractérisent de nombreux emplois modernes.
- Évolution technologique : L’automatisation et la robotisation ont rendu certaines de leurs analyses obsolètes dans plusieurs secteurs industriels, bien que leurs principes fondamentaux restent applicables.
L’héritage des GILBRETH transcende largement leur époque et constitue un pont essentiel entre le taylorisme scientifique et les approches contemporaines centrées sur l’humain.
En intégrant les dimensions physiologiques et psychologiques du travail à l’analyse scientifique des processus productifs, ils ont humanisé l’OST et posé les jalons de disciplines essentielles comme l’ergonomie, l’ingénierie des facteurs humains et la conception centrée sur l’utilisateur.
Leur vision holistique du travail, qui considère simultanément l’efficacité productive et le bien-être des travailleurs, reste d’une actualité face aux défis contemporains de qualité de vie au travail et de prévention des risques psychosociaux.
Dans un monde où l’optimisation des processus reste au cœur des préoccupations managériales, mais où la dimension humaine est de plus en plus valorisée, l’approche des GILBRETH offre un modèle équilibré qui continue d’inspirer les pratiques contemporaines de management et d’organisation du travail.
• Bibliographie principale
• Gilbreth, F.B. (1911). Motion Study: A Method for Increasing the Efficiency of the Workman. Van Nostrand. Ouvrage fondateur qui détaille la méthodologie d’étude des mouvements et présente les bases théoriques et pratiques de l’optimisation des gestes professionnels, avec de nombreux exemples concrets d’applications dans différentes industries.
- Gilbreth, F.B. & Gilbreth, L.M. (1917). Applied Motion Study. Macmillan. Développement de la théorie des therbligs et présentation des applications pratiques de l’étude des mouvements dans divers contextes industriels, démontrant la polyvalence et l’universalité de leur approche.
- Gilbreth, L.M. (1914). The Psychology of Management. Sturgis & Walton.
Premier ouvrage majeur de Lillian Gilbreth qui enrichit l’approche technique de son mari par une dimension psychologique, explorant l’impact des pratiques managériales sur le bien-être et la motivation des travailleurs. - Gilbreth, F.B. & Gilbreth, L.M. (1919). Fatigue Study. Sturgis & Walton.
Analyse pionnière des causes et conséquences de la fatigue au travail, proposant des méthodes concrètes pour réduire l’épuisement tout en maintenant la productivité, témoignant de leur préoccupation pour la santé des travailleurs. - Lancaster, J. (2004). Making Time: Lillian Moller Gilbreth—A Life Beyond « Cheaper by the Dozen ». Northeastern University Press.
Biographie contemporaine qui replace l’œuvre des Gilbreth dans son contexte historique et met en lumière la contribution significative et souvent sous-estimée de Lillian au développement de l’ingénierie industrielle et de la psychologie appliquée.

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