La crise comme levier de compétitivité
Toyota, constructeur automobile japonais, offre un exemple concret de mesure et d’amélioration de la résilience organisationnelle. En avril 2011, le séisme et tsunami au Japon ont gravement perturbé ses opérations, entraînant une chute de 78 % de sa production.
Ce choc a servi de déclencheur : l’entreprise a pris conscience de ses vulnérabilités et a initié une évaluation globale de sa résilience face aux crises. Toyota a ainsi examiné de près l’ensemble de sa chaîne de valeur afin de déterminer dans quelle mesure l’organisation pouvait absorber un tel choc et maintenir son activité.
Cette démarche revenait à calculer un véritable indice de résilience organisationnelle interne, en identifiant les points faibles et forts de l’entreprise face aux perturbations majeures. Le contexte post-crise de 2011 a donc poussé Toyota à mesurer sa capacité à survivre, s’adapter et rebondir après des événements extrêmes, ce qui correspond bien à l’esprit d’un indice de résilience organisationnelle.
Critères de mesure de la résilience
Pour évaluer sa résilience, Toyota a retenu plusieurs critères clés :
• Adaptation aux crises et continuité des opérations : La société a analysé sa capacité à réagir vite et à maintenir son activité en cas de crise. Après 2011, Toyota a cartographié plusieurs niveaux de fournisseurs et de composants critiques, se dotant d’un système pour identifier rapidement quelles usines ou quelles pièces sont à risque dès les premiers signes d’une crise.
Ce système d’alerte précoce vise à minimiser les interruptions de production en permettant une réponse rapide.
• Capacité d’innovation et flexibilité : Toyota a évalué sa faculté à innover dans ses processus pour éviter la dépendance à des éléments uniques. L’entreprise a envisagé des conceptions de produits plus flexibles, pouvant accueillir des composants de différentes spécifications si nécessaire.
Cette flexibilité industrielle accroît la résilience en évitant qu’un composant unique ne bloque toute la production.
• Robustesse financière : Un critère implicite de la résilience de Toyota réside dans sa solidité financière, qui lui a permis d’investir dans des mesures préventives. Après l’évaluation, Toyota a pu mobiliser des ressources pour constituer des stocks de sécurité importants et soutenir ses fournisseurs. Seule une entreprise financièrement robuste peut se permettre de conserver plusieurs mois de stock dormant sans compromettre sa rentabilité. Cette stabilité financière a donc été un prérequis pour améliorer la résilience.
• Engagement des partenaires et des employés : Toyota a également mis l’accent sur la collaboration avec ses parties prenantes. L’entreprise entretient une relation étroite avec ses fournisseurs : elle partage avec eux des plans de production fiables sur plusieurs mois et même des prévisions sur trois ans
Cet engagement mutuel crée la confiance et aide les fournisseurs à se préparer aux aléas, renforçant l’ensemble de la chaîne de valeur. De plus, la culture interne de Toyota (amélioration continue, « Kaizen ») encourage les employés à identifier proactivement les risques et solutions, ce qui alimente la résilience organisationnelle.
Ces critères (adaptation, continuité, innovation, finances saines, engagement des parties prenantes) constituent des composantes de l’indice de résilience organisationnelle de Toyota.
Résultats de l’évaluation de l’indice de résilience
L’évaluation de ces critères a révélé à Toyota des axes d’amélioration concrets.
Le diagnostic post-2011 a montré que l’entreprise devait renforcer la robustesse de sa chaîne d’approvisionnement et sa réactivité. Grâce à ce bilan, Toyota a mis en place les changements nécessaires et a ainsi augmenté son indice interne de résilience avant les crises suivantes.
Les résultats de ces efforts se sont manifestés lors de chocs ultérieurs, notamment pendant la pénurie mondiale de semi-conducteurs de 2020-2021. Alors que de nombreux concurrents subissaient des arrêts de ligne faute de puces, Toyota a réussi à limiter l’impact sur sa production. En 2021, les dirigeants de Toyota ont pu annoncer qu’ils n’anticipaient aucune perturbation majeure de production due à la pénurie de semi-conducteurs, fort des mesures prises
Le directeur financier de Toyota a souligné que les leçons de 2011 leur permettaient désormais d’évaluer rapidement des produits alternatifs en cas de rupture d’approvisionnement, ce qui a été déterminant pour atténuer la crise des puces
En somme, l’indice de résilience de Toyota s’est nettement amélioré : l’entreprise a gagné en visibilité sur ses risques et en capacité à poursuivre ses opérations même dans un environnement très adverse.
Actions mises en place pour améliorer la résilience
À la suite de cette évaluation, Toyota a déployé une série d’actions concrètes pour renforcer sa résilience organisationnelle :
• Plan de continuité d’activité (PCA) avec stocks de sécurité : Toyota a catégorisé ses composants par criticité et exigé de ses fournisseurs critiques qu’ils maintiennent des stocks supplémentaires. Concrètement, le nouveau plan de continuité impose aux fournisseurs de conserver entre 2 et 6 mois de stock pour les pièces les plus stratégiques
Toyota elle-même a sécurisé de 1 à 4 mois d’inventaire de semi-conducteurs en interne. Cette approche réduit le risque de rupture brutale et assure une continuité des opérations en cas de crise d’approvisionnement.
• Cartographie multi-niveaux des fournisseurs : L’entreprise a développé un système de cartographie de sa supply chain jusqu’aux sous-traitants de rang 2, 3, etc. Cela lui permet d’identifier très en amont quel fournisseur, et quelle pièce, pourrait être affecté par un événement donné
Par exemple, en cas de catastrophe naturelle touchant une région, Toyota sait immédiatement quelles usines et quelles pièces de sa chaîne de production sont menacées. Ce dispositif d’intelligence supply chain accélère la réaction et le rééquilibrage des flux en période de crise.
• Collaboration et soutien aux fournisseurs : Toyota a instauré une communication proactive avec ses partenaires. En période normale, elle fournit à ses fournisseurs un plan de production sur les mois à venir et des perspectives long terme, afin qu’ils ajustent leurs capacités en conséquence. En cas de coup dur (par exemple, l’incendie d’une usine fournisseur évoqué en 2021), Toyota travaille en collaboration avec le fournisseur pour rétablir la production, mobilisant si besoin des équipes supplémentaires
• Flexibilité de conception et polyvalence : Dans le prolongement de ses principes d’ingénierie, Toyota a cherché à rendre ses processus plus flexibles. Par exemple, elle vise à pouvoir utiliser différents modèles de composants interchangeables dans un même véhicule. Ainsi, si un composant spécifique devient indisponible, un équivalent peut le remplacer sans bloquer la production
• Amélioration continue et formation : Fidèle à sa culture, Toyota a renforcé ses programmes internes d’amélioration continue (Kaizen) centrés sur la résilience. Les équipes ont été formées aux scénarios de crise et aux solutions de secours (par ex. trouver rapidement un nouveau fournisseur ou re-router la logistique). Cette préparation organisationnelle accroît la réactivité en cas d’événement imprévu.
Grâce à ce plan d’actions multidimensionnel (processus, partenaires, design, culture), Toyota a corrigé les faiblesses révélées par son indice de résilience.
Impact sur la performance et la durabilité de l’entreprise
Les actions menées ont eu un impact très positif sur la performance et la pérennité de Toyota.
D’un point de vue opérationnel, l’entreprise a pu éviter des arrêts de production coûteux lors de nouvelles crises, là où des concurrents moins résilients ont subi de lourdes pertes. Par exemple, durant la crise des semi-conducteurs, Toyota n’a quasiment pas interrompu ses chaînes au premier semestre 2021, ce qui lui a permis de produire et vendre plus de véhicules quand d’autres en manquaient. Cette résilience supérieure s’est traduite par un avantage compétitif notable : Toyota est même devenu numéro 1 des ventes automobiles aux États-Unis en 2021, dépassant General Motors pour la première fois en 90 ans. Toyota a vendu 2,332 millions de véhicules aux USA en 2021 (en hausse de +10 % sur un an), tandis que GM, frappé par les pénuries, voyait ses ventes chuter de 13 %. Des analystes ont souligné que ce succès de Toyota découle directement de sa meilleure gestion de la chaîne d’approvisionnement et de sa forte résilience organisationnelle, plutôt que d’un simple effet de mode. En effet, « Toyota a mieux navigué la pénurie de puces que GM », ce qui a été un facteur clé de ses performances commerciales.
Au-delà de la performance financière à court terme, ces améliorations renforcent la durabilité de Toyota sur le long terme. En étant moins vulnérable aux crises, l’entreprise assure la continuité de ses emplois, la confiance de ses clients et partenaires, et la stabilité de ses investissements. La démarche de résilience adoptée après 2011 fait désormais partie intégrante de la stratégie de Toyota pour pérenniser son activité. Chaque perturbation est analysée non comme une fatalité, mais comme une occasion d’apprendre et de renforcer encore l’organisation.
Cette attitude proactive garantit que la résilience n’est pas qu’un indice mesuré à un instant T, mais une source d’avantage concurrentiel durable. Les résultats financiers robustes de Toyota malgré les crises, et sa capacité à ressortir renforcée des épreuves, illustrent l’impact concret d’un haut indice de résilience organisationnelle sur la santé et la longévité de l’entreprise.
Sources :
- Rapport de durabilité de Toyota New Zealand de 2011, intitulé « Resilience »
- L’article de Willy C. Shih dans la Harvard Business Review, intitulé « What Really Makes Toyota’s Production System Resilient » – . Harvard Business Review