
Fondateur de la Resource-Based View :
Penser l’entreprise comme un portefeuille de ressources
« Une firme peut être mieux comprise comme un ensemble de ressources plutôt que comme un ensemble de produits. » – (Birger Wernerfelt, 1984) –
Birger Wernerfelt, économiste et professeur de management danois, est le père fondateur de la Resource-Based View (RBV), l’une des théories les plus influentes en stratégie d’entreprise depuis les années 1980. Dans son article séminal de 1984, A Resource-Based View of the Firm, Wernerfelt propose une inversion radicale de perspective : plutôt que de partir de l’analyse des marchés et des produits pour définir la stratégie, il suggère de partir des ressources internes que possède l’entreprise. Cette approche constitue une rupture majeure avec la vision porterienne dominante, qui privilégie l’analyse externe de l’industrie. Wernerfelt ouvre ainsi la voie à une nouvelle école de pensée stratégique centrée sur les capacités organisationnelles.
Mots clefs- domaines
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Ressources stratégiques
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Avantage concurrentiel durable
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Resource-Based View (RBV)
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Portefeuille de ressources
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Barrières à l’imitation
• Apports principaux et limites
1. La conceptualisation de la Resource-Based View
Wernerfelt introduit en 1984 la notion de « resource portfolio » (portefeuille de ressources) comme grille d’analyse stratégique alternative. Il démontre que la performance d’une entreprise ne dépend pas uniquement de son positionnement externe (choix de marchés attractifs), mais surtout de sa capacité à identifier, développer et exploiter des ressources distinctives. Cette perspective interne-externe équilibrée permet de comprendre pourquoi, dans une même industrie, certaines entreprises surperformant durablement.
Utilité : La RBV offre un cadre d’analyse complémentaire aux approches positionnement (Porter) et permet aux dirigeants de concentrer leurs efforts sur le développement d’actifs uniques plutôt que sur la seule réponse aux pressions concurrentielles externes.
Limites : La RBV de Wernerfelt reste relativement statique : elle se concentre sur l’identification et l’exploitation des ressources existantes mais dit peu sur comment construire dynamiquement de nouvelles ressources dans des environnements turbulents. Cette lacune sera partiellement comblée par Teece avec les capacités dynamiques.
2. La dualité produits-ressources
Wernerfelt établit un parallélisme conceptuel entre la diversification des produits et la diversification des ressources. Il montre que tout comme une entreprise peut avoir un portefeuille de produits, elle possède un portefeuille de ressources qui peuvent être déployées sur différents marchés. Cette vision permet de penser la croissance non plus seulement par les marchés mais par les ressources.
Utilité : Cette approche légitime les stratégies de diversification liée : une entreprise possédant des ressources transférables (compétences technologiques, réseau de distribution, marque) peut légitimement envisager de nouveaux domaines d’activité en s’appuyant sur ces actifs communs.
Limites : Le risque de surinvestissement dans des ressources devenues obsolètes ou de rigidités organisationnelles liées à des ressources historiques qui freinent l’adaptation. La fidélité excessive à un portefeuille de ressources existant peut conduire à manquer des ruptures technologiques ou de marché.
3. Les barrières de position par les ressources
Wernerfelt développe le concept de « resource position barriers », équivalent côté ressources des barrières à l’entrée côté produits. Il identifie des mécanismes par lesquels certaines ressources créent des avantages défendables sur le long terme : difficulté d’imitation, accumulation temporelle nécessaire, ambiguïté causale, protection juridique.
Utilité : Ce concept permet d’évaluer la qualité stratégique des ressources : toutes les ressources ne se valent pas, seules celles qui sont difficiles à acquérir ou reproduire par les concurrents créent un avantage durable. Cela guide les choix d’investissement en R&D, développement des talents, construction de marque.
Limites : Les barrières de position peuvent devenir des pièges stratégiques : Nokia possédait d’immenses ressources (brevets, réseau de distribution, notoriété) qui n’ont pas empêché son effondrement face à l’iPhone. Les barrières protègent mais peuvent aussi enfermer dans des trajectoires dépassées.
4. L’arbitrage acquisition vs développement de ressources
Wernerfelt analyse les choix stratégiques entre acheter des ressources sur les marchés de facteurs (acquisitions, recrutement) versus les développer en interne (R&D, apprentissage organisationnel). Il montre que la décision dépend des imperfections des marchés de ressources et des capacités d’absorption de l’entreprise.
Utilité : Cette analyse guide les décisions de croissance externe (faut-il acquérir une entreprise pour ses technologies ?) versus croissance organique. Elle éclaire notamment les stratégies d’innovation ouverte qui combinent développement interne et acquisition de ressources externes.
Limites : L’analyse de Wernerfelt sous-estime les difficultés d’intégration post-acquisition et la destruction potentielle de valeur des ressources acquises lors de leur absorption dans une nouvelle structure organisationnelle.
Birger Wernerfelt a profondément influencé la manière dont les organisations analysent leurs forces internes. Grâce à lui, la stratégie est devenue un exercice d’exploitation des ressources, de construction d’avantages spécifiques et de création de barrières à l’imitation.
Sa pensée reste centrale dans la formation à la stratégie et constitue l’un des piliers de l’analyse stratégique moderne. Elle a également ouvert la voie à des concepts essentiels dans l’économie de la connaissance et la stratégie d’innovation.
• Bibliographie principale
📘 Wernerfelt, B. (1984). A Resource-Based View of the Firm. Strategic Management Journal, 5(2), 171–180.
Article fondateur de la RBV. Il propose une approche inédite : considérer la firme comme un portefeuille de ressources, et non comme un simple producteur. L’auteur y introduit les notions de substituabilité, d’efficacité relative et de trajectoire stratégique basée sur les ressources.
📘 Wernerfelt, B. (1995). The Resource-Based View of the Firm: Ten Years After. Strategic Management Journal, 16(3), 171–174.
Un bilan critique 10 ans après son article fondateur. Il revient sur les usages de son modèle, les débats qu’il a suscités, et ouvre la voie à des réflexions sur l’évolution dynamique des ressources.
📘 Wernerfelt, B. (2016). Adaptation, Specialization, and the Theory of the Firm. Cambridge University Press.
Synthèse plus récente de sa pensée, intégrant des considérations sur l’adaptation et la spécialisation organisationnelle, avec un lien plus fort avec les sciences économiques.

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